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Aller vers et après

Il y a quelques mois, le Centre d’Animation des Couronneries a été interpellé par un groupe de femmes du quartier, inquiètes de l’occupation de leur hall d’immeuble, par de jeunes vendeurs de stupéfiants. C’est Alexandra Néraudeau, responsable du service enfance jeunesse et éducation, qui recueille leurs préoccupations. Nous l’avons rencontré pour évaluer le rôle de la maison de quartier dans une telle situation. Une illustration d’intervention dans l’espace publique et d’accompagnement d’habitants dans la résolution de problème qui les concernent. 

Quand vous avez décidé de travailler sur l’intervention dans l’espace public par quoi avez-vous commencé ?
Une partie de l’équipe a commencé à se questionner il y a 2 ans, sur les dynamiques d’interventions dans l’espace public. On a appelé notre groupe le « projet ALFA ». Il s’agit de l’acronyme d’Aller vers et Faire Avec les Habitants. Notre souhait était de passer d’une animation tournée vers l’intérieur de la maison de quartier, à une animation tournée vers le territoire.

En 2018, nous nous sommes fait accompagner par Jérome Guillet pour réfléchir en équipe, avec les administrateurs et les professionnels, sur la pédagogie sociale et de rue. Cela nous a permis de voir l’espace public comme un milieu d’animation naturel. Nous avons alors choisi d’organiser un chantier expérimental de 4 jours, à l’été 2018, pour nous essayer à de nouvelles façons de faire de l’animation dans le quartier. Nous avons investi les aires de jeux des enfants par exemple. Depuis plusieurs années, nous proposons des activités aux enfants, hors les murs, tous les étés, tous les jours de la semaine. Cela a facilité la mise en place du projet et nous a permis de faire un pas supplémentaire vers les habitants du quartier.

Après avoir testé plusieurs formes d’animation dans l’espace public, après être sortis à maintes reprises, de nos zones de confort, nous avons pris le temps, en équipe, d’analyser nos pratiques et de les essaimer auprès des autres membres de l’équipe. Cela a soulevé de nombreuses questions, parfois des remises en causes.

Comment vous vous y êtes pris pour transformer votre façon de faire de l’animation?
Après le chantier de l’été 2018, nous avons commencé à travailler sur notre changement de posture. Nous avons poursuivi ce travail jusqu’à fin 2019. J’anime cette démarche en binôme avec Karine Boutant, la responsable culture et vie de quartier de l’association.

Nous sommes reparties du sens du projet de la maison de quartier : rétablir la proximité avec les habitants. Chaque animateur, chaque professionnel est un moteur pour être au plus près des habitants. Nous avons choisi de ne pas faire du groupe ALFA, un groupe d’experts. Son rôle était plutôt d’emmener toute l’équipe, de tous monter dans le bateau !
Nous avons initié l’équipe en organisant des temps de formation et d’échange sur les techniques d’animation dans l’espace public, bien sûr : porteur de paroles, porte-à porte…


Puis nous avons permis aux collègues de tester eux mêmes en leur donnant des défis : partir en binome d’animateurs, poser une question aux habitants par exemple.
Nous avons cependant eu à nous organiser pour lever certains freins. On ne peut pas décréter un changement de posture professionnelle. Cela s’accompagne. Quand on travaille avec des enfants, on est en droit de se poser la question de l’intérêt de faire du porte-à-porte dans le quartier !
Nous avons relevé plusieurs opportunités qui ont permis de lever les freins.
– Grâce au chantier expérimental de l’été 2018, les participants ont pu formaliser ce qui faisait frein chez eux. Ils ont aussi pu exprimer ce qui les épanouit dans leur travail avec les habitants.
– Le fait qu’en parallèle à ce chantier, les animateurs travaillent sur l’émancipation des enfants au centre de loisirs.
– Faire prendre conscience qu’une dimension du métier d’animateur est parfois coincée dans le public de prédilection. Travailler dans l’espace public permet de rencontrer d’autres profils, avec lesquels on a moins l’habitude de travailler. Les animateurs sont sortis de leur zone de confort.
– Chaque responsable de secteur, en fonction du public avec lequel il a l’habitude de travailler, est devenu le référent de ce public, sur le quartier. Cela élargit les possibles.
– En faisant de petits pas, c’est à dire en utilisant cette approche de la pédagogie sociale à chaque occasion possible, y compris pour faire la promotion de nos événements culturels.
– En octobre 2019, l’équipe a également pris conscience que si le centre ne prenait pas ce virage, c’était fichu et que nous n’aurions plus que des adhérents consommateurs d’activités et services. Et nous ne voulions pas cela.
Aujourd’hui, la façon dont nous allons faire savoir que nous organisons des manifestations, des concerts a beaucoup changé. Nous allons systématiquement rencontrer les habitants, dans la rue, au marché, devant les écoles, aux pieds des immeubles, chez eux, pour les informer.
Tous ces lieux, que l’on utilisait de façon plus ponctuelle, sont devenus des espaces d’animation, au même titre que nos salles d’activités.
3) Nous avons parlé de l’accompagnement de l’équipe dans ce changement de posture. Revenons au groupe de femmes que vous avez accompagnées depuis l’automne dernier. A quoi êtes vous tout particulièrement attentifs dans une démarche d’accompagnement des publics ?
En octobre 2019, un groupe de femmes décide d’occuper le hall de leur immeuble à la place de jeunes dealers. Elles s’installent durant plus d’un mois autour d’une table tous les après-midi.  N’étant pas assez nombreuses et tâtonnant dans leur démarche, nous rencontrons l’une d’entre elle, qui fréquente le secteur famille et l’animation de rue l’été, pour voir comment la maison de quartier pouvait être un soutien auprès du groupe et de leur action. Nous nous sommes posés la question de notre légitimité à intervenir puis nous nous sommes lancés car nous y voyions une situation d’urgence pour ce groupe à recevoir un soutien. Ce dernier restait à définir. Nous nous sommes positionnés à côté de ces femmes, avec elles. Notre rôle a été principalement de permettre au groupe de formaliser le problème, de le mettre en mots et d’en mesurer les différents niveaux et comment ces femmes pouvaient agir sur chacun de ces niveaux. Dans cette situation, en l’occurrence, le problème était double et le groupe d’habitantes n’avait naturellement pas conscience de cela au départ. Est apparu après plusieurs rencontres, que le gardien de l’immeuble avait joué un rôle dans la dégradation de la situation d’occupation du hall. Nous avons fait en sorte qu’elles n’entrent pas dans un rapport de force avec ce monsieur et qu’elles agissent sur le levier qu’était le bailleur social de leur immeuble dont dépend le gardien. L’autre besoin du groupe était de trouver d’autres habitants pour les soutenir et de signifier au groupe de jeunes qu’elles étaient là et qu’elles avaient décidé de se « réapproprier » leur espace de vie qu’était le hall.
Nous avons amené ce groupe à trouver ses propres solutions. En prenant de la distance, en précisant leur besoin, en cherchant avec elles quels étaient leurs interlocuteurs possibles pour agir sur les deux situations. Enfin, nous avons fait en sorte qu’elles se rendent compte des petites victoires, les fameux pas proximal dont parle souvent Yann Le Bossé.
Toutes ces femmes avaient une grande volonté. Elles étaient toutes combatives et savaient ou elles voulaient aller en étant déjà prêtes à agir. Elles ont exprimé leur situation auprès du maire et du bailleur, ont fait une pause en décembre et à ce jour les jeunes ne sont pas revenus dans le hall.
Les rencontres qui ont pu avoir lieu se sont faîtes en présence de deux animateurs à chaque fois et des animateurs de l’équipe qui se sont formés à la Formation à visée émancipatrice (FAVE) dans la Vienne.
Cette expérience est le reflet du travail de long terme du centre. Le changement de posture du centre et des animateurs a été perçus par les habitantes. Le travail de ré-affiliation avec les habitants, l’écoute continue du territoire, l’animation de rue a permis de faire comprendre au public que le centre pouvait être ressource. Preuve en est : les habitantes sont venues demander le soutien du centre pour être accompagné dans une problématique quotidienne. Pari gagné, le centre est en voie d’être identifié comme vecteur potentiel de transformation sociale !
 

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