Aujourd’hui, il ne suffit plus d’attendre les habitants dans les maisons de quartier. L’enjeu du « pouvoir d’agir » consiste à créer une relation directe avec eux sur leurs lieux de vie. A Poitiers, les centres socioculturels de La Blaiserie et des Couronneries passent à l’action.
Début février, un incendie a éclaté dans un immeuble de Bel Air, à Poitiers. S’il n’y a eu aucune victime à déplorer cette nuit-là, une quinzaine de locataires ont dû être évacués vers le CHU. Le lendemain de cet événement, trois animatrices de la maison de quartier de la Blaiserie sont spontanément allées frapper à chaque porte. « C’était simplement pour parler et voir si les habitants avaient des besoins particuliers, se souvient Gwenaël Caillaud, directeur de centre. On s’est vite rendu compte que certains avaient été traumatisés. » Trois semaines plus tard, l’angoisse et la colère ne sont pas retombées. « On a organisé des groupes de résidents et mis en place une démarche claire pour voir évoluer les relations avec le bailleur. » Cet exemple illustre la démarche d’« aller vers », mise en place au sein du centre socioculturel. « Ce n’est pas une campagne de pub. Le premier objectif, c’est de créer une relation directe avec les habitants sur leur lieu de vie, de mieux connaître leurs préoccupations en dépassant le seul cercle des adhérents de la maison de quartier. »
« Supprimer la distance sociale »
Le premier confinement, en mars 2020, a constitué un électrochoc. A l’issue, les animateurs ont renforcé leur présence dans la rue. Désormais, ils sortent régulièrement avec dans leur sac à dos des jeux de cartes, frisbee et, surtout, un cahier et un stylo pour noter tout ce qu’ils entendent. « Ces éléments seront utiles pour renouveler le projet social de la maison de quartier », poursuit Gwenaël Caillaud. L’épicerie solidaire propose maintenant la livraison à domicile pour les plus fragiles. Un camion connecté sillonnera bientôt le quartier afin d’améliorer l’accès aux droits sociaux par Internet. Enfin, lors de chaque rendez-vous organisé sur les placettes du quartier, « deux ou trois animateurs restent 100% disponibles pour écouter les habitants. » Ils ne montent pas de stand ou de scène. Ces professionnels du lien social posent des questions clés pour savoir quels changements seraient nécessaires dans le quartier.
Aux Couronneries, la démarche est expérimentée depuis près de quatre ans. Le centre d’animation (Cac) veut faire de l’« aller vers » le cœur de son projet social. L’équipe a déployé une véritable stratégie. Nom de code : projet Alpha. Jérôme Guillet, spécialiste reconnu des actions en direction des publics « non captifs », a formé les salariés. Marie-Hélène Doublet, chercheuse en sciences sociales à l’université de Tours, a analysé les changements vécus par les animateurs au fil des semaines. « L’idée est de sortir de nos lieux d’animation traditionnels et de créer les conditions pour qu’une relation s’installe, en supprimant la distance sociale », détaille Christian Frossard, directeur du Cac. C’est une méthode, toute l’action menée par le centre doit désormais s’appuyer sur les habitants. » Exemple : devant l’Eveil, on installe régulièrement une « zone de gratuité » où des tas d’objets sont simplement donnés afin qu’ils aient une seconde vie. L’occasion d’aborder des thèmes du quotidien avec les usagers de l’épicerie sociale.
« On se prend la réalité en pleine figure »
Tous les mardis matins, les animateurs se creusent la tête pour imaginer des manières d’aller au-devant des habitants. Vingt-deux professionnels se relaient dans la rue. Autour des « tables de quartier » -un concept québécois-, les habitants discutent de sujets qui les concernent directement au pied de leur immeuble. Le vaste plan de rénovation urbaine en cours dans le quartier est également un point d’accroche intéressant. Les animateurs n’hésitent plus à se présenter à la porte des logements, dans le cadre d’une opération « toc-toc » par exemple. Attention, ce n’est pas simple ! Tous ne sont pas forcément très enclins à le faire. D’autant que des portes se referment brutalement. Mais en binôme, la mauvaise expérience est vite relativisée. « On se prend dans la figure la réalité du quotidien des familles, témoigne Alexandra Neraudeau, référente Enfance-Jeunesse. On n’est pas préparé à cela. Alors on se positionne en mode de lecture sensible, en partant de leur point de vue et pas du nôtre. » Autrement dit, il ne s’agit pas de leur faire dire ce qu’on a envie d’entendre. C’est tout l’enjeu de l’« aller vers ».
Crédit photo 1 : Centre d’Animation des Couronneries.
Crédit photo 2 : Marta Nascimento pour la FCSF. « Garder le lien » – Confinement à Poitiers – 29-30 avril 2020