Depuis quelques années le groupes de directeurs ALSH travaillent sur la mise en place de centres de loisirs émancipateurs pour les enfants. En 2018-2019 ils ont été accompagné par 2 chercheurs en science de l’éducation et par un consultant :
- Sébastien Pesce, spécialiste en recherche-action participative. Il travaille avec des groupes de professionnels. Il les accompagne dans l’élaboration et la mise en œuvre de leur recherche action.
- Marie-Hélène Doublet, spécialiste de l’accompagnement du changement de posture professionnelle. Elle explique que le changement ne se décrète pas. S’il demande beaucoup de pédagogie et de temps, il implique aussi que les personnes qui souhaitent modifier une pratique professionnelle, comprennent la raison de ce changement.
- Jérôme Guillet, consultant et spécialiste en travail hors les murs.
En fin d’année 2019, les chercheurs ont participé à un colloque sur le sens du travail, organisé par la faculté de médecine de Paris et le Conservatoire national des arts et métiers.
Pour présenter leurs travaux devant des chercheurs et des étudiants ils se sont appuyés sur l’expérience de la Vienne. La semaine ALSH émancipateur expérimental à Ozon, en 2017 est en effet un cas d’école qui permet de comprendre les étapes de changement. Ces étapes sont ponctuées par l’aventure collective, le retour de chacun dans son ALSH, les rencontres fédérales et enfin l’analyse de la pratique pour permettre l’essaimage de cette approche pédagogique innovante.
Nous avons rencontré Marie-Hélène et comme nous sommes curieux, lui avons posé quelques questions.
Que signifie exactement Accompagner les évolutions de sens ? Il n’y avait pas de sens, avant ?
Il s’agit plus précisément de retrouver du sens dans son travail. Mon métier est d’accompagner les personnes à trouver leur propre sens dans l’évolution de leur travail.
Pour différentes raisons, la vie s’accélère, elle se complexifie. On finit par ne plus savoir quelle est notre place dans la société. On finit par ne plus savoir ce qui est important pour nous. Notre société est en perte de repère, de valeur. Cela entraîne des phénomènes comme le fondamentalisme, par exemple.
Dans le monde du travail, on entend régulièrement des discours comme : « Je subis, je suis résigné, je n’ai pas d’impact, je fais un travail mais je n’ai pas la possibilité d’évaluer si mon travail est efficace, si je sers à quelque chose. »
Pour donner du sens au travail, parler ne suffit plus ?
Dans la situation du Chantier ALSH, l’aventure collective à Ozon, a permis de créer du sens. Mais ce n’est pas seulement le fait d’avoir pensé et agit ensemble sur ce projet. C’est plutôt le fait d’avoir orienté l’action collective, de façon différente.
Ce projet a vu le jour parce que depuis 2013, l’orientation politique de la Fédération des Centres Socioculturels de France (FCSF) incite à orienter les activités et services pour qu’elles favorisent le développement du pouvoir d’agir des habitants. Dans le 86, les ALSH ont choisi de transformer leur façon d’accueillir les enfants : ils sont passés de la proposition d’activités par les adultes, à la construction des activités par les enfants, pour favoriser leur émancipation.
Au début de l’aventure, les animateurs n’étaient pas en panne de sens. Ils regardaient ce chantier ALSH comme une incitation de la FCSF, afin que les associations, localement, favorisent le développement du pouvoir d’agir des habitants.
Le fait d’avoir préparé la semaine d’accueil expérimentale collectivement, avec Jérôme Guillet et la fédération, de vivre l’expérience d’un accueil de loisirs sans tranche d’âges et sans programme, sont des conditions favorables pour construire, orienter l’action vers autre chose. Dans notre exemple, ce sont des pairs qui ont ensemble, fait évoluer le sens du métier.
Le choix d’un travail collectif accompagné, laisse une large part aux professionnels de terrain, pour construire ce qui va leur être utile pour être au plus près des orientations fédérales. Ils vont créer quelque chose qui va être intéressant pour eux.
Jérôme Guillet a utilisé des outils qui sont propices à la création de sens. L’outils « Grande histoire/petite histoire« , par exemple, où les animateurs ont pu raconter leur parcours personnel et professionnel. Au lieu de réfléchir sur le sens, de but en blanc, ou bien encore, de se demander « c’est quoi mon métier ? », les animateurs ont fait des détours par la narration de soi, pour aller repérer ce qui dirige leurs actes. Cela a produit de l’enthousiasme et une grande énergie pour entrer dans l’aventure de la semaine expérimentale.
La semaine à Ozon est également un événement marquant qui permet de faire évoluer le sens du métier. Il fallait avoir du courage, pour passer d’une façon de faire de l’animation qui date de longue date, à un changement radical. Certains animateurs se sont d’ailleurs demandé ce qu’ils faisaient là, à quoi ils servaient, s’ils ne proposaient pas d’activité.Comment peut ont accompagner un changement de posture professionnelle ? Etre convaincu ne suffit donc pas ? On parle d’engagement des bénévoles. Peut-on parler d’engagement des salariés ?
Pour la saison 2 (2017/2018), les animateurs qui ont participé à la saison 1 (2016/2017) ont été rejoints par des nouveaux. Les questions managériales ont émergé de ce groupe. Comment faire en sorte que notre nouvelle façon de faire de l’animation soit possible dans d’autres accueils de loisirs ?
Avec Sébastien Pesce, nous avons accompagné des projets de ce type, dans des équipes qui n’ont pas vécu l’expérience d’Ozon. Comment le responsable peut-il accompagner son équipe à changer sa façon d’intervenir auprès des enfants ? Comment peut-il prétendre demander aux animateurs de faire de l’émancipation auprès desenfants si son propre management n’est pas émancipateur ?
Pour avancer sur cette question, le groupe de travail a interrogé des familles, des parents, des collègues, qui étaient plutôt réfractaires à un changement dans leur ALSH et qui sont passés de Jamais de la vie à Pourquoi pas.
Le projet de la saison 3 (2018/2019) est d’analyser les pratiques professionnelles. L’ALSH est un lieu où les enfants peuvent expérimenter, découvrir qui ils sont au milieu des autres. Ce sont des mouvements de solidarité collective, au sein desquels chaque enfant peut monter un projet, proposer une activité et en être acteur. Il s’agit d’un lieu propice à la production collective du savoir qui peut permettre aux enfants de développer leur estime d’eux-mêmes.
Au delà de l’impact sur les animateurs, y a t-il vraiment un impact de cette analyse de la pratique sur l’ALSH ?
Le métier d’animateur souffre d’un turn-over important. On fait ça pour payer ses études et on abandonne après sa scolarité pour faire autre chose. Les coordinateurs ont du mal à avoir des équipes stables.
Une orientation forte et des résultats prégnants pourraient revaloriser le métier comme un métier à part entière et donc redonner des lettres de noblesse à l’animation.
Pour que les enfants deviennent de bons citoyens, l’école occupe une place essentielle. Il en est de même pour la famille. Les ALSH et plus largement, les métiers liés au jeu, sont moins reconnus pour cela. Pourtant, le jeu est le travail de l’enfant. C’est par le jeu qu’il se construit, qu’il construit un futur adulte. Le jeu permet de vivre des choses, de réussir, d’échouer.
Comment peut-on s’y prendre pour analyser sa pratique professionnelle ?
Dans tous les métiers, dans tous les actes de la vie, quand on demande à un professionnel ce qu’il fait, comment il le fait et ce que cela produit, ce qu’il raconte est toujours moins intéressant que ce qu’il fait. Dans tous les métiers, il y a une part non conscientisée de ce que l’on fait vraiment.
C’est souvent une part importante du métier. Lorsqu’ils prennent conscience de cela, les professionnels peuvent voir comment ils prennent telle ou telle décision.
Dans le groupe de la saison 3, les animateurs ont tous raconté des moments d’animation. Le groupe a écouté et a demandé des explications complémentaires. Ces questions ont permis de mettre en évidence les choses importantes qui les font agir.
L’analyse de la pratique a un impact indéniable. Les professionnels sont plus solides. Ils sont capables de parler précisément de leurs métiers, en en montrant la complexité et les finalités.
Cela rend le métier accessible à un non professionnel, les familles de l’ALSH par exemple. Ils sont plus en mesure de défendre ce qu’ils font, d’expliquer ce que cela produit chez les enfants en donnant des faits.
L’analyse de la pratique est un incontournable de l’animation. En effet, la loi évolue, les enfants d’aujourd’hui sont différents de ceux d’hier. Notre métier a besoin d’être travaillé et remis en discussions collectivement, en permanence.