Comment gérer l’exception religieuse là où, comme c’est le cas dans certains centres, les usagers sont à 90% musulmans ? Peut-on encore parler d’exception dans ce cas ? Faut-il alors prévoir de la viande hallal pour tout le monde, y compris pour les non musulmans ? Comment gérer la question du port du foulard quand certains centres sociaux acceptent d’embaucher une femme voilée à l’accueil pendant que d’autres refusent ? Les centres sociaux de France ont récemment exprimé un manque de références et de réponses face à certaines interpellations d’usagers. C’est pourquoi, depuis 2013, ils ont constitué un groupe de travail national sur les discriminations.
L’enjeu étant de trouver des solutions pour permettre aux habitants de vivre ensemble en respectant la liberté de chacun dans un cadre laïc français aux contours pas toujours clairs. Nous vous proposons ici un extrait de discussion à trois voix. C’est une manière, parmi d’autres, d’appréhender la réponse que doit apporter un centre social. Une réponse qui passe avant tout par le dialogue et l’accompagnement.
Abderrazak Halloumi[1] : Un centre social répond à une commande publique tout en étant au service des habitants. Ce n’est pas le centre socioculturel des maghrébins, des musulmans ou des africains subsahariens. Qu’il y ait un temps fort pour dire, à un moment donné, ça, c’est quelque chose d’important pour les habitants du quartier, d’accord, mais on ne va pas bouleverser les horaires d’ouverture parce que c’est le Ramadan. Ça n’a aucun sens. Ce serait même sortir du cadre légal. La religion, même si elle a un côté communautaire, social, reste de l’ordre du privé. Bien sûr, il y a des interpénétrations, des va-et-vient mais un centre social est d’abord une structure qui se doit de répondre à l’ensemble des habitants.
Lakdar Attabi[2] : Ça ne veut pas dire que la demande n’est pas entendue.
Chantal Luque[3] : Il peut y avoir des adaptations, par contre il ne peut y avoir de bouleversements.
Lakdar Attabi : On a réussi, en France, quelque chose d’extraordinaire. Si ce débat est arrivé jusqu’à la maison de quartier, c’est que la parole est permise. Elle est possible et elle est, en plus, équilibrée. C’est donc un contexte très favorable pour résoudre les problèmes, car les gens s’impliquent alors dans la discussion. Nous devons donc veiller à être présents à ce moment-là. La solution portée par les centres sociaux est dans l’accompagnement et la possibilité du dialogue. On a une chance parce que la démocratie s’exerce et que les centres sociaux sont un lieu d’exercice de la parole. Et si les habitants s’impliquent, c’est qu’ils se sentent concernés. C’est une réussite (…) Ces gens se sont déplacés vers nous et c’est tant mieux. C’est avec eux qu’on peut trouver des solutions. On est des facilitateurs et des accompagnateurs.
Chantal Luque : Mais il faudrait quand même une position des centres sociaux au niveau national, une ligne directrice. Il faut construire un discours, un message fort, sinon les problèmes vont s’amplifier dans les années à venir. Aujourd’hui, il y a encore beaucoup de confusion autour de la laïcité.
Abderrazak Halloumi : Le problème c’est que la quête de la religion est parfois fantasmée et devient une quête identitaire. La revendication c’est : nous sommes tous égaux mais laissez-nous aussi une part de différence !
Il faut ajouter aussi qu’aujourd’hui, le combat pour la laïcité devient presque de l’islamophobie. Il faudrait former les personnes qui travaillent dans les centres sociaux à la question de l’islam. Tel qu’il est vécu en Guinée Conakry, il n’a rien à voir avec celui du Maghreb, par exemple. Ça fait partie intégrante de la culture des personnes, pratiquantes ou pas.
Lakdar Attabi : Ce qu’on attend de la fédération nationale, c’est un message ferme qui engage les fédérations et les centres sociaux. La carence se fait sentir et elle freine l’émancipation !
1] Conseiller municipal à la mairie de Poitiers.