En 1989, deux jeunes filles refusent d’enlever leur voile pour entrer au collège. L’affaire fait grand bruit dans les médias et le débat de société est lancé : la laïcité, pilier de la société française depuis la loi de 1905 de séparation des églises et de l’Etat, est mise à l’épreuve. Un quart de siècle plus tard, en avril 2015, l’affaire de la « jupe longue » remet une nouvelle fois en question la définition des « signes religieux ostentatoires » à l’école… Entre temps, deux lois : celle de 2004 interdisant le port de tenues ou de signes religieux à l’école et celle de 2010 sur l’interdiction de la burqua dans les lieux publics.
Fortement sollicitée par son réseau suite aux attaque terroristes islamistes du 7 janvier, la Fédération des Centres Sociaux de la Vienne a souhaité proposer des outils à ses adhérents pour s’emparer du sujet de la laïcité. Alors que la France entend protéger ses citoyens du terrorisme, quelles dérives cela peut-il avoir sur les libertés individuelles, dont la liberté de culte ? Comment se garder de tout amalgame entre le terroriste islamiste et la mère de famille voilée qui emmène ses enfants à l’accueil de loisirs ? Pourquoi le droit de manifester sa religion peut être perçu comme excluant de la communauté des citoyens ?
De son côté, sentant depuis deux ans environ que le sujet de la laïcité était récurrent dans les questionnements des bénévoles et des salariés des Centres Sociaux, Chantal Luque, directrice du Toit du Monde, décide de mener une réflexion sur ce thème. Elle raconte : « En tant que Centre Social spécialisé sur la diversité, nous sommes interpellés régulièrement sur des questions autour du port du voile, de sa légalité, de la place des religions dans nos quotidiens. Le congrès national des Centres Sociaux, en 2013 à Lyon, s’est aussi beaucoup articulé autour de la diversité. Le sujet est dans l’air du temps, nous en avons fait un sujet de discussions au Toit du Monde. »
Puis, sur demande de la Fédération de la Vienne, le Toit du Monde fait appel à ses bénévoles, dont Karim El-Hadji, pour élaborer un programme de formation d’une journée. Le travail de groupe débouche sur une proposition riche et complète, intitulée « La laïcité aujourd’hui ».
De père tunisien et de mère alsacienne, Karim El Hadji a travaillé 5 ans dans les pays du Golfe puis en Libye avant d’être muté en Pologne…et de s’y marier, lorsque le pays était encore fortement emprunt de culture catholique. D’un œil malicieux, il déclare : « la laïcité c’est l’histoire de ma vie ! »
Professeur d’histoire-géographie dans un collège à Parthenay et de géopolitique à la faculté d’économie de Poitiers, Karim découvre le Toit du Monde en arrivant à Poitiers (ville qu’il a découverte à la faveur d’un jumelage avec Wrocław et où il a ensuite décidé de s’installer). Séduit par l’ouverture singulière sur l’étranger de ce Centre Social, auditeur régulier de ses conférences, il décide de s’impliquer en devenant administrateur. Il se spécialise sur les questions de géopolitique et de laïcité en France et délivre à son tour des conférences, notamment sur le monde musulman.
Pour cet homme qui a parcouru le monde, c’est la toute première expérience dans le monde associatif : «une formidable manière de rencontrer des gens ! »
Histoire de la laïcité, points de vue des pays anglo-saxons et musulmans, éléments juridiques, sociologiques et religieux pour tenter d’y voir plus clair…
…mais aussi exemples et réponses concrètes pour favoriser la compréhension interculturelle, pratiques de la laïcité au quotidien…
la formation propose un contenu riche et adaptable, permettant aisément de se saisir de la thématique.
« Nous pouvons nous adresser à tous les publics », explique le professeur. Animateurs souhaitant des réponses à des questions telles que « doit-on adapter le fonctionnement d’un accueil de loisirs pendant le ramadan ? », adhérents d’associations, enfants, adolescents…
« Je rêve de débats entre des femmes voilées et des athées, je rêve de faire se rencontrer des gens venant d’horizons différents… » avance Karim.
Laïcité ou laïcisme ?
La formation peut aussi proposer comme point de départ une revue de presse sur le thème, mais toutes les approches sont possibles, en accord avec les envies et les demandes de la structure accueillante. Karim n’hésite pas à revenir sur les lois françaises et observe depuis quelques années un glissement, une confusion dans les esprits entre laïcité et laïcisme.
L’essence de la laïcité est la suivante : la tolérance, la neutralité, la liberté d’expression dans un cadre commun à tous.
Le principe de laïcité en France consiste en la neutralité de l’Etat, mais aussi des représentants de l’Etat, et des élèves. Ainsi, les signes religieux et ostentatoires sont interdits à l’école élémentaire et secondaire, dans le but de laisser aux élèves la possibilité de se construire en tant que citoyens, en dehors des discours religieux ou politiques.
« La laïcité promeut en même temps trois principes : la liberté de conscience, l’égalité des droits entre croyants et athées, et le fait que l’Etat se consacre au seul intérêt général. Cet universalisme est bon pour tous : il unit sans soumettre, et préserve la sphère publique des communautarismes. Etre laïque, c’est refuser tout privilège, aussi bien à l’athéisme qu’aux religions, ainsi traités à égalité. » dit le philosophe Henri Pena-Ruiz.
La neutralité de l’Etat n’interdit pas les signes religieux dans les lieux publics, tant qu’ils ne nuisent pas à la tranquillité publique.
Au contraire, le laïcisme, qui semble prendre de l’ampleur, est un dogme anti-religieux qui se pose « contre ». Il vise à faire de la religion la source de tous les maux. La laïcité d’après la loi de 1905 permettait à tous les discours religieux de cohabiter librement, le laïcisme tend au contraire à les interdire…la nuance est de taille.
Liberté de conscience, dérive du prosélytisme, respect des croyances de chacun, compréhension raisonnée du fait religieux, vivre-ensemble : autant de sujets fortement liés aux missions des Centres Sociaux !
Il y a matière à discuter, alors n’hésitons plus…parlons laïcité !
Claire Marquis, La Chambre (de) Claire
Source : Collectif contre l’islamophobie en France